DYNAMIQUE

 

Un modèle de simulation pour explorer la dynamique des filières bois-énergie

(Jean-Paul Bousset, Marie Taverne, Fabien Guerra, Cemagref, 2009)

 

Problème

Comment pourraient évoluer les filières bois-énergie en Auvergne ? Faut-il favoriser leur concentration (moins d'entreprises de plus grande dimension) ou favoriser un statu-quo (beaucoup d'entreprises de petite dimension) ?

 

Méthode

Selon Hanaki et al (2007), tout agent socio-économique doit à un moment ou à un autre faire un choix entre 2 types d'actions : les unes sont pro-sociales (e.g. maintien des formes de coopération contractées avec les autres agents sur le long terme), les autres sont égoïstes (e.g. abandon des collaborations contractées pour de nouvelles collaborations dès qu'il est profitable de le faire).

 

De nombreux « facteurs » incitent les agents économiques à se comporter individuellement de manière égoïste (coûts directs plus faibles), mais à l’échelle d'une filière, Nalebuff et Brandenburger (1996) ont montré l’intérêt d'associer stratégies de coopération et stratégies de compétition (concurrence) dans les entreprises. Ils suggèrent de rechercher les opportunités Gagnant-Gagnant (coopération) aussi bien que les situations Gagnant-Perdant (compétition).

 

Le modèle proposé pour explorer la dynamique des filières du secteur bois-énergie ("wood-chip fuel supply chain") est dérivé du modèle de la Valeur Nette () de Nalebuff et Brandenburger. Ce modèle -- conçu et prorammé par JP.Bousset -- permet de représenter les quatre groupes d'acteurs qui influencent l'environnement Marketing d'une entreprise i : ses Clients, ses Fournisseurs, ses Concurrents et ses Complémenteurs.

Les Concurrents sont les rivaux existants de i, les nouveaux entrants dans le système et les produits de remplacement.

Un Complémenteur est une entreprise qui offre un produit ou service qui accroît l'attraction du produit de l'entreprise i. Les actions d'une entreprise i sont censées avoir deux dimensions : la dimension verticale, où sont placés les clients et les fournisseurs de l'entreprise i considérée ; la dimension horizontale, où sont placées les entreprises avec qui l'entreprise i considérée interagit mais n'effectue pas de transaction (ce sont ses Substituts et ses Partenaires potentiels).

Les Substituts sont des entreprises dont les clients actuels de l'entreprise i peuvent acheter les produits, ou à qui les fournisseurs actuels de i peuvent vendre leurs ressources. Les Partenaires sont des entreprises dont les clients de l'entreprise i achètent les produits complémentaires, ou à qui les fournisseurs de l'entreprise i vendent des ressources complémentaires.

 

Le modèle proposé représente un processus d'interactions -- réelles ou hypothétiques (futurs possibles) – entre les filières du secteur, qui consiste, pour chaque entreprise i, à faire un choix : soit elle décide de continuer à collaborer avec ses fournisseurs actuels (statu quo), soit elle décide de réviser la liste de ses fournisseurs en sélectionnant des entreprises j qui produisent les objets dont elle a besoin à moindre coût (révision).

 

Le choix du statu quo dénote une stratégie de fidélisation-coopération. Le choix de la révision dénote une stratégie de compétition. En effet, dans le deuxième cas, l'entreprise i entre en compétition avec les entreprises qui s'approvisionnent auprès des mêmes fournisseurs (ses Partenaires). En outre, en sélectionnant un fournisseur j à moindre coût de production, elle cherche à abaisser ses propres coûts de production pour être en meilleure position pour concurrencer les entreprises qui fournissent les mêmes produits qu'elle-même (ses Substituts), si l'un de ses clients fait le choix de réviser sa liste de fournisseurs. Mais en changeant de fournisseur, elle affaiblit son indice de fidélité et celui de son nouveau fournisseur. L'intérêt de chaque stratégie pour i et j dépend donc de leur propension à la compétition, de leurs coûts de production et de leur indice de fidélité dans leurs collaborations.

 

On propose de représenter l'intérêt -- la probabilité -- Pij pour l'entreprise i de collaborer avec un fournisseur j comme suit, sachant que Pij doit être compris entre 0 et 1 :

 

 

 

 

Cj représente le coût de production de j. On postule que Cj croît avec la distance spatiale qui sépare j des entreprises qui coopèrent avec elle et décroît avec le nombre d'entreprises qui coopèrent avec elle, ce qui peut s'écrire : Cj = α + βLj - δKj. Lj = Σi lij ; avec lij = 1 si i et j ne sont pas situées dans le même département – sinon lij = 0 ; Kj = Σi cij avec cij = 1 si i et j coopèrent – sinon cij = 0 ; β et δ sont des paramètres qui permettent de moduler les effets "distance" et "dimension des réseaux".

Le rapport Cj / i Cj représente la valeur relative du coût d'approche du client j par rapport à la somme des coûts d'approche des clients de i. Elle décroit vers 0 au fur et à mesure qu'on s'intéresse aux clients les moins coûteux. Elle croit vers 1 au fur et à mesure qu'on s'intéresse aux clients les plus coûteux.

L'expression 1- Cj / i Cj varie en sens inverse. Elle décroit vers 0 au fur et à mesure qu'on s'intéresse aux clients les plus coûteux, ce qui affaiblit Pij. Elle croit vers 1 au fur et à mesure qu'on s'intéresse aux clients les moins coûteux, ce qui renforce Pij .

Dj est la durée des coopérations de j avec les autres entreprises. Elle croit avec la durée de la coopération entre i et j. Elle peut donc être vue comme un indicateur de la réputation de fidélité de j. Le rapport Dj / i Dj représente le niveau relatif de fidélité du client j par rapport à la somme des degrés de fidélité des clients de i.

Le rapport Dj / i Dj varie donc entre 0 et 1. Elle décroit vers 0 au fur et à mesure qu'on s'intéresse aux clients les moins fidèles, ce qui affaiblit Pij. Elle croit vers 1 au fur et à mesure qu'on s'intéresse aux clients les plus fidèles, ce qui renforce Pij.

Θi représente la propension à la compétition de i. La valeur de Θi peut varier entre 0 et 1. La valeur Θi =1 indique que i a une forte propension à la compétition (rupture des liens établis pour diminuer les coûts). La valeur Θi =0 indique que i a une forte répulsion pour la compétition (maintien des relations établies = pro coopération).

L'expression (1 – Θi) peut donc être vue comme un indicateur d'aversion au risque associé aux nouveaux clients i. On postule que la valeur de Θi peut être approximée par le nombre et la proximité géographique des associés de i. Ce qui peut s'écrire : Θi = sin (arctg ((ρ*nli1) + (σ*nli0) - (φ*di)) ; avec nli1 = nb d'associés de i hors du département de i , nli0 = nb d'associés de i dans le même département de i ; ρ et σ sont des paramètres qui permettent de moduler l'effet distance. Avec l'expression [- φ*di ] on postule que l'aversion au risque de i diminue au fur et à mesure que la fidélité à ses partenaires s’accroît. Ainsi, en affectant une valeur non nulle à φ – qui peut être vue comme le bénéfice individuel itérée d'une stratégie de fidélité, on peut simuler une logique d'apprentissage.

Ainsi -- situation extrême -- pour une entreprise i dont la propension à la compétition est très importante (Θi =1), la probabilité Pij d'être sélectionnée par une entreprise j comme partenaire dépend exclusivement du coût de production de j.

A l'opposé, pour une entreprise i dont l'aversion au risque est très forte (Θi =0), la probabilité Pij d'être sélectionnée par une entreprise j comme partenaire dépend exclusivement de la durée des collaborations de j avec les autres entreprises, non des coûts de production de j.

 

Ce modèle a été programmé sur la plate forme de développement et de simulation NetLogo. L'espace du problème est symbolisé par une grille carrée de 50*50 = 2500 cellules, dans laquelle chaque cellule représente une entreprise, avec les attributs qui la caractérisent au début de la simulation (cf. Annexes: Tableau 1) ainsi que les résultats des interactions (Cij, Dij -- chaque cellule de la grille prend une couleur d'autant plus foncée que les liens perdurent (coopération) entre i et j -- et Pij). Le processus d'interaction programmé permet de simuler différentes politiques : cf. Annexes.

Ce modèle de prise de décision-négociation a été testé avec des données concernant 43 entreprises de la filièrers bois de la région Auvergne.

Trois stratégies ont été simulées, produisant autaént de scénarios hypothétiques :

- 2 stratégies de compétition généralisée (stratégie de minimisation des coûts de production des agents de la filière)

Scenario 1: "les acteurs des filières remettent en question leurs collaborations verticales"

Scenario 2 : "les acteurs des filières remettent en question leurs collaborations horizontal"

- 1 stratégie de coopération généralisée (favorisée par une politique d'incitation à la fidélisation des interactions)

Scénario 3: "de nouveaux acteurs cherchent à coopérer avec les acteurs des filières" .

 

Résultats

 

Ces simulations montrent qu'une politique incitant à une compétition généralisée (stratégie de minimisation des coûts de production des agents de la filière) est plus efficace qu'une stratégie de coopération généralisée (politique d'incitation à la fidélisation des interactions), non seulement pour réduire les coûts de production d'une filière, mais aussi pour construire des collaborations au sein des filières : la figure 2a ( Θi =1) est plus densément colorée que la figure 2b ( Θi =0)., ce qui indique davantage de collaborations entre les entreprises.

 

Les figures 3 et 4, qui rapportent le nombre et la durée des coopérations étables par chaque entreprise (Dj) confirment ce résultat qui peut s'expliquer par le fait que les entreprises où la propension à la compétition est forte tentent à collaborer quasi uniquement avec les entreprises qui ont les plus faibles coûts de production. Elles n'exigent aucune fidélité, ce qui rend les collaborations plus faciles à établir.

 

Ces simulations montrent également que des filières composées d'entreprises avec des propensions à la compétition très variées peuvent être encore plus efficaces – tant en termes de dynamique que de coûts de production – que des filières adoptant une stratégie de compétition généralisée.

 

Discussion

 

Démarche

La démarche proposée procède de l'abduction (). Elle consiste à utiliser une représentation symbolique d'une partie des processus cognitifs qui participent aux décisions (choix) de certains agents économiques, pour explorer la dynamique de certaines filières bois-énergie. Cette représentation est composée de symboles (formes) qui opèrent sur d'autres symboles via des relations mathématiques -- e.g. la fonction de coût des entreprises est déterminée par l'usage qu'en fait la fonction de probabilité de coopération entre 2 entreprises -- et qui sont programmées à l'aide de codes informatiques (autres formes symboliques) "exécutables" par un ordinateur.

 

Le modèle proposé possède les trois caractéristiques ou fonctions principales que possède un modèle en science sociales:

- une fonction de représentation: il représente des agents socio-économiques en inter-action;

- une fonction de réduction : il ne représente pas toutes les éléments cognitifs qui participent aux interactions entre les agents mais seulement certaines de celles qui sont intéressantes pour traiter la question posée;

- une fonction subjectivisante : il ne possède pas de relations "naturelles" avec la réalité. Il symbolise des interactions pour traiter la question posée. Il est un instrument construit dans un but spécifique.

 

Enfin, le modèle proposé possède deux ancrages : un ancrage empirique – des données observées en Auvergne -- et un ancrage théorique – la théorie de Nalebuff et Brandenburger. Brandenburger et Nalebuff argumentent que la coopération et la concurrence sont des domaines nécessaires et souhaitables d'une entreprise. Se concentrer exclusivement sur la concurrence ignore en grande partie le potentiel de changement dans la nature des relations d'affaires, et ainsi le potentiel d'augmenter le marché ou de créer de nouvelles formes profitables d'entreprise. Une mentalité de « Coopétition » recherche activement les manières de changer et d'augmenter l'activité, ainsi que de nouvelles manières d'une mieux compétition

 

L'homomorphie -- degré de ressemblance/ vraisemblance -- entre le modèle et la réalité ne peut être vérifiée, mais elle peut être testée dans un sens "Poppérien" vague : il faut se contenter des correspondances existant entre les "données" et certaines parties du modèle. Car certaines des composantes du modèle sont des conjectures. La validation empirique du modèle par comparaison des résultats avec la réalité sera toujours difficile puisque le rapport du modèle avec le monde réel n'est pas direct, i.e. il s'agit d'un langage pour parler du monde et non pas d'une collection contrôlée de mesures telle que celle que l'on obtient en économétrie.

 

Néanmoins, ces simulations montrent qu'en combinant observations et conjectures (théories) on peut permettre de mettre en évidence des phénomènes qui ont du sens dans certains contextes spécifiques.

 

References

 

Hanaki, N., Peterhansl, A, Dodds, P. and Watts D. 2007. Cooperation in Evolving Social Networks. Management Science. Vol. 53, No. 7, July 2007, pp. 1036-1050

Loebecke, C., Van Fenema, P.C., Powell, P. 1999. Co-opetition and knowledge transfer. ACM SIGMIS Special issue on information systems: current issues and future chnages. Vol. 30 no 2, pp. 14-25.

Lihong Huang, Taishan Yi, and Xingfu Zou. On Dynamics of Generalized Competitive and Cooperative Systems. Tohoku Mathematical Journal (2) Volume 58, Number 1 (2006), 89-100.

Adam M. Brandenburger and Barry J. Nalebuff 1996. Co-Opetition: A Revolution Mindset That Combines Competition and Cooperation : The Game Theory Strategy That's Changing the Game of Business. Currency United States ISBN 978-0385479509. https://mayet.som.yale.edu/coopetition/

Adam M. Brandenburger and Barry J. Nalebuff 1996. La Co-opétition : une révolution dans la manière de jouer concurrence et coopération, Paris. Editions Village Mondial.

Bengtsson, Maria & Kock, Sören. 2000. "Coopetition” in Business Networks- to cooperate and compete simultaneously. Industrial Marketing Management Vol. 29 No. 5 pp.411-426. Elsevier Science.

Arnoldo C. Hax and Dean L. Wilde II 2001. The Delta Project: Discovering New Sources of Profitability in a Networked Economy. 2001 Palgrave MacMillan United States ISBN 978-0312240462

Dagnino, G. & Padula, G. (2002). Coopetition strategy: A new kind of interfirm dynamics for value creation. [Paper presented at EURAM – The European Academy of Management, Second Annual Conference – “Innovative Research in Management”. Stockholm, Sweden, May 9-11, 2002.]

Sumit Joshi. 2008. Endogenous formation of coalitions in a model of a race. Journal of Economic Behavior & Organization. Volume 65, Issue 1, January 2008, Pages 62-85

Logan, Robert K. & Stokes, Louis W. 2003. Collaborate to compete. Driving profitability in the knowledge economy. First edition. Chichester: John Wiley & Sons.

Situation initiale

 

 

Scenario 1: "les acteurs des filières remettent en question leurs collaborations verticales"

Scenario 2 : "les acteurs des filières remettent en question leurs collaborations horizontal"

Scénario 3: "de nouveaux acteurs (NDis ... NCons ...) cherchent à coopérer avec les acteurs des filières

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